Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
les News d'Afrique et du Monde

APRES LA GRECE, PORTUGAL ET L'ESPAGNE, A QUI LE PROCHAIN TOUR ?

16 Mai 2010 , Rédigé par digimobile

L’Afrique doit être attentive  à la crise financière qui secoue l’Union européenne en général et la zone euro en particulier, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que la zone euro est la troisième source de la demande mondiale des biens et services après les Etats-Unis et la Chine. Une possible désintégration de la zone euro aura des effets désastreux sur l’économie globale et les pays africains seront sévèrement affectés à cause des quatre chaines de transmission qu’ils entretiennent avec la zone euro (export& imports, transferts des migrants, aide publique au développement et investissement direct étranger). Ensuite, la crise financière grecque a fait flamber les taux d’intérêt. Chaque augmentation des taux d’intérêt alourdit le fardeau du service de la dette des pays africains débiteurs. Enfin, depuis l’an 2000, beaucoup des pays africains ont érigés des règles budgétaires calqués sur le modèle de l’Union européenne. Ces outils sont supposés aider les pays africains pour la consolidation budgétaire, cadrage macroéconomique et pour la bonne gouvernance économique. Toute dérogation à l’un ou plusieurs de ces règles budgétaires peuvent conduire à des déséquilibres  macro-financiers -parfois incontrôlables.

Il faut aussi relever que le programme d’austérité que la Grèce vient d’annoncer ressemble comme un jumeau aux programmes d’ajustement structurels des années 80s et 90s en Afrique. Rappelons aussi que le franc CFA est à parité fixe avec l’euro. Toute fluctuation de l’euro à la hausse comme à la baisse se répercute mécaniquement sur le cours du franc CFA  avec des conséquences sur la compétitivité, stabilité des prix, solde de la balance des opérations courantes et sur le stock de la dette extérieure des pays africains de la zone CFA.   

La crise financière grecque met en exergue les insuffisances et les limites de la construction de l’Union Européenne et de la zone euro. Le manque d’une gouvernance fédérale  européenne fait le lit du chacun pour soi et Dieu pour tous –empêchant ainsi une véritable solidarité coordonnée des pays de la zone euro pour secourir la Grèce en détresse. Les pays européens latins -la France en tête- proclament leur solidarité et promettent d’agir. L’Allemagne fait le gros dos et exige que la Grèce qui a violé les règles budgétaires -notamment le solde budgétaire et la dette publique- mette de l’ordre dans sa « maison ».  

La cacophonie des pays de la zone euro est du pain béni pour les spéculateurs qui guettent leur proie (la Grèce). Les agences de notation s’en mêlent (voir section : l’influence des agences de notation) et dégradent de trois crans la Grèce. La Grèce est bien seule. Elle ne peut emprunter auprès des banques commerciales simplement parce que ses obligations ne peuvent trouver preneurs – à des taux convenables- dans le marché obligataire (marché ou se négocie la dette publique des pays ou la dette souveraine). Deux options s’offrent : sortir de la zone euro ou placer le pays sous tutelle de l’Union européenne et du Fond Monétaire International (FMI). La dernière option l’emporte.

Mais les marchés ne se calment pas : malgré quelques balbutiements à la hausse, les bourses sur les principales places financières restent en berne, l’euro bat de l’aile et se déprécie par rapport au dollar américain, les taux d’intérêt flambent. Encouragés par les  mauvaises notes que distribuent des agences de notification, les spéculateurs s’attaquent à l’Espagne et au Portugal. Pour rappel les deux pays appartiennent à un groupe que les marchés financiers dénomment  PIIGS ((Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne (Spain en anglais))

Le spectre de la contagion –tant redouté se précise- et provoque une véritable psychose ou la moindre rumeur déstabilise un peu plus les marchés boursiers, le marché de change et des obligations. Voyage au cœur d’une crise financière qui risque –si elle n’est pas résolue- d’emporter la zone euro et par ricochet signer l’acte de décès de la monnaie euro…….  

1. LA ZONE EURO EST-ELLE MENACEE D’IMPLOSION ?

 En créant la zone euro, les 16 pays membre ont abandonné les deux politiques économiques susceptibles de les aider en cas des chocs internes et externes. Ils confièrent la politique monétaire et de change à une autorité centrale qui est la Banque centrale européenne (BCE). La BCE fixe le taux de change unique à l’intérieur de la zone (monnaie unique qui est l’euro, lancée le 1 janvier 1999), détermine l’évolution de l’offre de monnaie et des taux d’intérêt. Cette mouture s’inspire de la théorie de la zone monétaire optimale qui repose sur trois postulats: la flexibilité des salaires et des prix (i) ; un degré élevé de mobilité des facteurs de production : capital et travail (ii) ; and  une centralisation des transferts budgétaires (iii).

En pratique, ces conditions ne sont pas réunies pour la zone euro. La flexibilité des salaires n’existe pas à cause de l’opposition des syndicats et groupes de pression qui rechignent d’accepter la baisse des salaires pour absorber des chocs systémiques. Contrairement aux américains, les européens sont sédentaires et n’aiment pas se déplacer pour saisir des opportunités d’emplois ailleurs –loin de leur terroir. Résultat, la mobilité du facteur travail est très faible. La centralisation des transferts budgétaires bute au manque d’une gouvernance fédérale européenne.   

Quand la crise financière éclate en Grèce, les regards se tournent d’abord vers les pays de la zone euro et vers la plus riche et puissante de la zone. La riche Allemagne –première puissance économique et industrielle de l’Europe- qui a bâtie sa prospérité sur une prudente politique de revenu (modération de la hausse des salaires nominaux, stabilité des prix), une politique commerciale agressive (la demande intérieure est contenue pour dégager des excédents de la balance commerciale) , une épargne intérieure abondante grâce à la stagnation de la consommation des ménages et la consolidation budgétaire et  une productivité totale des facteurs  -en moyenne- supérieure à celle des autres pays de l’UE.

L’œil rivé sur les élections du 9 mai prochain (Rhénanie-Du-Nord- Westphalie ) et en phase avec son opinion publique (la majorité des allemands est hostile à toute aide à la Grèce et un groupe des députés allemands souhaitent carrément l’exclusion de la Grèce de la zone euro), la chancelière Angela Merkel hésite d’intervenir. Elle ne veut surtout pas créée un fâcheux hasard moral qui encouragerait d’autres « mauvais élèves » de la zone euro d’enfreindre les règles budgétaires et laisser filer leur déficits et dette publique.

L’hésitation de l’Allemagne est une aubaine pour les agences de notation, Standard&Poor’s (S&P), Moody’s et Fitch qui anticipent que le plan de sauvetage de la Grèce marque les pas et a du plomb dans l’aile. S&P baisse la note de la Grèce de trois crans -chutant de "BBB+" à "BB+", note qui place la Grèce dans la catégorie des investissements spéculatifs, soit "pourris". Moody’s et Fitch enfoncent le clou en dégradant elles aussi la Grèce. Pour rappel, les trois agences de notation contrôlent –à elles seules- 80% du marché mondial.

La convergence des mauvaises notes des agences de notation crucifient la Grèce. Les taux des emprunts d'Etat grecs et des produits de couverture contre le risque de défaut du pays, déjà très haut-perchés, explosent : Le papier grec à dix ans affiche  un taux de 11,4 %. Celui à cinq ans de 14,3 % et celui à deux ans de plus de 19 % -du jamais vu. Pour emprunter sur les marchés, la Grèce doit désormais payer près de quatre fois plus chères que le meilleur élève de la zone euro, l'Allemagne, qui verse un peu plus de 3% sur dix ans. Les écarts des taux d’intérêt entre le court et moyen-terme traduisent un message simple : les marchés ne croient pas que la Grèce est capable de financer ses énormes déficits à court-terme.

En outre, la position de la Grèce se détériore dans le marché des Dérivés sur Evénement de Crédit (DEC) que les Anglo-saxons appellent  Credit default Swaps  (CDS). Les CDS –qui sont des couvertures d’assurance contre  le risque de faillite d’un pays ou d’une entreprise- sont exorbitants pour la Grèce. En début de semaine, les CDS grecs s’élevaient à 600 points de base. En terme moins ésotérique, ceci veut dire que le cout pour assurer 10 millions de dollars de dette grecque jusqu'à 2015 est de 600,000 dollars par an. Mercredi 5 mai, les CDS grecs sont passés à 825 points de base. Ce qui signifie que pour assurer le même montant de 10 millions de dollars, la Grèce doit payer 825,000 de prime d’assurance par an. La prime d’assurance que la Grèce  paie continuera d’augmenter  aussi longtemps que les marchés financiers douteront de la solvabilité du pays.

Ceci aggrave les difficultés du pays et le pousse inexorablement à la faillite. On comprend des lors l’impuissance et la résignation du gouvernement socialiste grec. Pris en tenaille entre les taux d’intérêts prohibitifs et les primes d’assurance onéreuses, le pays n’a simplement pas les moyens d’honorer ses engagements.

Convaincu que sans l’aide des pays de la zone euro, la Grèce n’arrivera pas à payer sa dette publique, les marchés financiers (valeurs bancaires, marché des obligations, titres, bons de Trésor et CDS) entrent en émoi. L’idée d’une faillite de l’Etat Grec hante les esprits. Résultat : les marchés boursiers  baissent partout au monde, les taux d’intérêt augmentent et la monnaie euro dégringole par rapport au dollar américain –atteignant son taux le plus bas depuis un an. Comme si cela ne suffisait pas, les agences de notation –toujours elles- anticipent les effets de contagion à l’intérieur de la zone euro et s’attaquent à deux autres PIIGS. Après la Grèce (BB+), c'est au tour du Portugal (A-) et de l'Espagne (AA) de voir leur note abaissée.  

Les pressions montent pour que la riche Allemagne se décide.  Deux facteurs vont pousser la Chancelière Angela Merkel de tendre la main à la Grèce. Pas,  par altruisme mais par intérêt mutuel. D’abord, la menace que fait peser le risque de défaut de paiement grec sur l’euro. Or la stabilité de l’euro est le socle de crédibilité et respectabilité de la zone euro.  Ensuite, le degré d’intégration du système bancaire et financier de la zone euro révèle que plusieurs banques, compagnies d’assurances, société de courtage, organismes hypothécaires  et  fonds d’investissement  sont exposés aux obligations publiques qu’aux créances privées grecques.

L’exposition du secteur bancaire européen en Grèce est très élevée avec les banques françaises et allemandes en tète de liste. Le secteur bancaire français détiendrait entre 20-30 milliards d’euro de dette publique grecque et l’exposition des assureurs serait du même ordre de grandeur.  L’engagement des banques allemandes sur la dette publique grecque serait entre 10 et 15  milliards d’euro. Le problème se corse un peu plus, quand on considère l’ensemble des PIIGS. Les banques françaises détiennent 781 milliards de dollars de titre des PIIGS et les banques allemandes en regorgent 522 milliards. Parmi les 16 pays de la zone euro, l’Allemagne et la France sont les plus exposées et risquent une forte déstabilisation si la Grèce tombe et entraine dans sa chute les autres pays du groupe PIIGS.

Il ne s’agit pas de sauver la Grèce, il est question maintenant de sauver la menace qui pèse sur le système financier européen. Car,  la probable chute des PIIGS aura des externalités négatives sur les banques et les investisseurs institutionnels européens. Les pays de la zone euro qui commencent à sortir de la récession économique ne peuvent pas se permettre un autre choc qui annulerait tous les sacrifices consenties jusqu'à présent.

Déjà, les peuples de la zone euro sont gagnés par la psychose. Les résultats des divers sondages interpellent : 75% des français pensent que le tour de la France viendra,  69% des allemands pensent la même chose pour l’Allemagne et 70% d’Italiens sont convaincus que l’Italie est la prochaine cible après la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Si on considère que la consommation des ménages reste la force motrice de la croissance, des attitudes psychologiques de ce genre –nourri par l’angoisse et l’incertitude- augmentent la crise de confiance pouvant conduire à moins de consommation future et par effet d’entrainement à moins d’investissement et de croissance.

L’Allemagne se décide et avec elle tous les pays de la zone euro de secourir la Grèce. Cependant le coût du plan de sauvetage est trop élevé (120 à 135 milliards d’euros pour 3 ans, soit 45 milliards par an) et ne peut être financé par la zone euro seule. On fait appel au Fond Monétaire International  (FMI) et une péréquation financière est trouvée : les pays de la zone euro financeront à  hauteur des 30 milliards d’euros et le FMI 15 milliards pour l’année 2010.

Sur les 30 milliards d’euros à débourser cette année, la contribution de l’Allemagne serait de 28% ; France (21%) ; L’Italie (18%) ; l’Espagne (12%). Les petites économies supporteront un fardeau moindre avec les Pays-Bas (6%); Belgique (4%); Portugal (3%) ;  Finlande (2%), Irlande (2%) et la contribution des autres petites économies sera en dessous de 1%.

Pour encourager les pays de la zone euro de prêter à la Grèce, la Banque centrale européenne (BCE) a pris lundi 3 mai 2010, une décision inédite. La BCE annonce qu’elle accepterait les titres grecs quelque soit leur notation, se portant ainsi comme garant collatéral contre des prêts que les pays de la zone euro accorderaient à la Grèce. Ce geste a contribué à détendre les taux grecs surtout dans le marché obligataire.

Problème. L’Espagne, l’Italie, l’Irlande et le Portugal font partie des PIIGS et sont dans la ligne de mire des agences de notation et des operateurs des CDS et spéculateurs. Si ces pays sont déstabilisés, tiendront-ils leurs engagements vis-à-vis de la Grèce ?   

Autre incertitude. Les pays de la zone euro et le FMI alignent des conditions draconiennes avant de fournir les liquidités dont la Grèce a besoin (voir section : La Grèce et le plan d’austérité). Un plan d’austérité a été conclut entre la Grèce d’une part, le FMI et l’Union européenne d’autre part. L’application du plan d’austérité sera conjointement suivie et évaluer. La performance de ce plan déterminera la poursuite de l’aide à la Grèce pour les prochaines deux années (2011-2013). Le parlement grec a approuvé le plan d’austérité ce jeudi 6 mai 2010. Cependant, le plan de rigueur est totalement rejeté par les grecs en grande majorité, comme en témoigne les deux grandes manifestations de mercredi et jeudi. Le gouvernement socialiste, pourra-il bâtir un contrat de confiance avec son peuple pour l’exécution du plan d’austérité ?

Les deux incertitudes (probable déstabilisation des PIIGS et front de refus du peuple au plan de rigueur) constituent une sérieuse menace pour la survie de la zone euro.

2. LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL

Quand un pays décide librement de rejoindre une union monétaire et économique, les prix à payer sont souvent élevés. D’abord, le pays perd sa souveraineté en matière de politique économique, notamment la politique monétaire et la politique de taux de change.  Ensuite, même quand le pays dispose de la politique budgétaire et de ses instruments, il doit se soumettre à des règles budgétaires qui limitent ses marges de manœuvre. Enfin, les pays à balance des paiements excédentaires financent les pays à balance des paiements déficitaires. Ce transfert des ressources irritent souvent les opinions publiques des pays excédentaires qui supportent de moins en moins de payer pour les « autres ».

 Pour promouvoir la croissance économique, créer des emplois, les pays membres de la zone euro utilisent la politique budgétaire et ses instruments : la dépense budgétaire et la politique de taxation.  Toutefois, pour éviter qu’un pays membre poursuive une politique budgétaire expansionniste qui peut mettre en péril la monnaie unique (euro) et la cohésion interne de la zone euro, les pays européens érigèrent des règles budgétaires et critères de convergence (Traité de Maastricht en 1992 et Pacte de Croissance et Stabilité en 1997).

Les règles budgétaires sont numériques, c'est-a-dire chiffrés. Les plus généralement utilisés sont: règle du solde budgétaire (RSB), règle des dépenses budgétaires (RDB), règle des revenus budgétaires (RRB), règle de la dette publique (RDP), règle de convergence et règle d'écart de productivité qui mesure la compétitivité des économies de la zone.

Les pays membres de la zone euro s’engagent à ce que les déficits budgétaires annuels ne dépassent pas 3% du PIB et la dette publique n’excède pas 60% du PIB. Le Pacte de Croissance et Stabilité prévoit des sanctions pour tout pays-membre qui viole le règle de solde budgétaire (RSB) et le règle de la dette publique (RDP). Tout pays qui enregistre un déficit budgétaire de plus de 3% du PIB doit payer une amende de l’ordre de 0.2% à 0.5% de son PIB. Exception est faite pour des chocs internes (calamités naturelles) ou externes (récession économique mondiale). Ces chocs –souvent non prévus- peuvent forcer les pays-membres de recourir à des politiques budgétaires contre-cycliques pour résorber la crise. Le Pacte de Croissance et Stabilité impose aux pays-membres d’avoir des budgets équilibrés à moyen-terme pour permettre le bon fonctionnement des stabilisateurs automatiques et de soumettre un plan annuel de stabilité des agrégats macroéconomiques. 

Ces garde-fous visent à empêcher tout pays de recourir à un endettement excessif.  Le raisonnement est simple : si un pays-membre creuse un déficit budgétaire, il crée une dette publique. La taille du déficit détermine la taille de la dette publique. Quand un pays-membre fait face à un large déficit budgétaire, il va recourir à un endettement excessif pour financer son déficit. Le pays déficitaire sera obligé d’emprunter auprès des marchés des capitaux. Ceci risque d’augmenter les taux d’intérêt qui par ricochet vont alourdir le fardeau de la dette (service de la dette) des autres pays débiteurs de la zone euro les forçant ainsi à appliquer des politiques budgétaires déflationnistes au détriment de la croissance et de l’emploi.  

Si pour diverses raisons (termes de négociation d’obtention des prêts draconiens : période de différé des paiements très court, période de maturité de remboursement courte et taux d’intérêt prohibitifs) , le pays déficitaire ne peut emprunter auprès des marchés de capitaux, les autres pays de la zone euro doivent consentir à faire des sacrifices et « prêter » l’argent au pays-membre déficitaire. 

C’est cette solidarité qui rebute la riche Allemagne qui ne souhaite payer pour des pays incapables d’observer une strict discipline budgétaire. Les pays déficitaires de la zone euro reprochent à l’Allemagne son modèle et l’interpelle pour qu’elle change de politique économique qui aidera à booster soit le revenu disponible soit réduire l’épargne intérieure. L’objectif est que l’Allemagne augmente sa demande intérieure qui permettra aux pays déficitaires d’accroitre leurs exportations envers l’Allemagne. Malgré des âpres discussions, la dame de fer –la chancelière Angela Merkel- n’est pas prête à changer de politique. Pour elle, pour sauver la zone euro et la monnaie unique (euro), les pays déficitaires doivent réduire les salaires, exercer une plus grande discipline fiscale et budgétaire et restructurer leur politique d’industrialisation.  

2. DES CHIFFRES QUI DONNENT DES FRISSONS

Avant même que la crise financière grecque éclate, les différents instituts de recherche et prospective avaient livrés –en début d’année 2010- des prévisions pour les 27 pays de l’UE. 20 des 27 pays de l’Union Européenne verront leur déficit et dette publique s’aggraver en 2010.

Les grandes économies de l’UE font toutes parties de la liste : France (déficit publique de 8.2% du PIB et dette publique de 83% du PIB), L’Allemagne (déficit 5% du PIB et dette publique de 77% du PIB), Italie (déficit de 5.3% du PIB et une dette publique de 117% du PIB).

Il faut ajouter les PIIGS: Grèce (déficit public de 12,2% et dette publique de 124,9% du PIB), Espagne (déficit à 10,1% et une dette représentant 66,3% du PIB). Portugal (déficit à 8% et une dette représentant 84,6% du PIB), Irlande (déficit à 14,7% et une dette représentant 82,9% du PIB).

Ces chiffres prouvent que les pays de L’UE et de la zone euro ont dérogé   aux règles budgétaires notamment les règles liés au solde budgétaire et à la dette publique. Cependant, les pays de la zone euro furent dévastés par la récession économique mondiale (2007-2009) venue des Etats Unis. Pour faire face à la crise, les pays de la zone euro ont tous recourus à des politiques contre-cycliques qui ont sensiblement augmenté la dépense budgétaire, creusé les déficits publics avec comme conséquence le niveau élevé de la dette publique.  

3. L’INFLUENCE DES AGENCES DE NOTATION

Il y a plusieurs agences de notation en Asie et Occident. Les plus connues sont Standard&Poor’s (S&P), Moody’s et Fitch Rating Ltd et ces trois agences contrôlent 80% du marché mondial. Elles se chargent d’évaluer le risque de solvabilité des emprunteurs. Chaque agence à sa propre méthodologie et système de notation.

En recoupant le système de notation de trois agences on peut établir une synthèse d’échelle de notation. La plus haute note est AAA (meilleure qualité de crédit, risque le plus faible pour l’investisseur, forte capacité de l’emprunteur à faire face à ses obligations  sur le très long terme) et la note médiocre est D (situation de faillite de l'emprunteur, risque trop élevé de défaut de paiement).

Les clients de ses agences sont généralement les entreprises multinationales, les entreprises publiques et privées, les banques et les collectivités locales en quête des fonds. Quand une entreprise recherche un financement, que ca soit par financement bancaire ou par émission d’obligations sur le marché, elle « commande » un bulletin d’évaluation auprès d’une agence de notation. Plus la note est élevée, plus elle attirera des investisseurs potentiels à des taux d’intérêt avantageux. Par contre, si la note est médiocre, l’entreprise aura d’énormes difficultés de mobiliser des fonds et les taux d’intérêts seront prohibitifs. On comprend facilement l’énorme influence qu’ont les agences de notation. Au fil des années, les marchés financiers font confiance à ces agences de notation et suivent presque religieusement les notes qu’elles dispensent.

Le succès indéniable et l’envol des agences de notation est beaucoup plus le résultat de déréglementation et libéralisation du secteur financier en général et du secteur bancaire en particulier. Face à la « désintermédiation » grandissante qui caractérise depuis plus de deux décennies les marchés de capitaux (recherche de financement par canal direct et affaiblissement du rôle des banques en tant qu'intermédiaires) , rares sont aujourd'hui les emprunteurs qui ne sollicitent par une notation auprès d'une ou de plusieurs agences de notation. Cependant des voix s’élèvent pour dénoncer les relations ubuesques à la limite de l’inceste qu’entretiennent les  agences de notation avec leur client. En effet, quand les agences de notation monnayent leur bulletin des notes, ne se mettent-elles pas en posture de conflit d’intérêt ?

Les Etats et gouvernements ne sont des clients des agences de notation. Ces agences –par leur propre initiative- évaluent différents pays en se basant sur les fondamentaux et équilibres macro-financiers des comptes nationaux.

Standard&Poor’s , par exemple, étudie plus d’une centaine des pays. Ses macroéconomistes et modélisateurs (économètres constructeurs ou utilisateurs des modèles mathématiques) passent en peigne fin  la performance et perspective de croissance du secteur réel (PIB, prix et chômage), budget et tableau des opérations financières de l’Etat ( analyse des soldes budgétaires, dette publique souveraine et recettes fiscales), situation monétaire (analyse de l’évolution des bilans consolidés des banques commerciales et de la banque centrale) et de la balance des paiements (analyse de la performance des exportations, du stock de la dette extérieure et des mouvements des capitaux).

Problème. Les agences de notation ne demandent aucune rétribution aux Etats qu’elles notent. La question qui vient à l’esprit est la suivante : pourquoi les trois agences de notation dépensent tant des ressources pour faire des études –qui reconnaissons- le- sont des documents de référence pour des Etats souverains qui n’en sont ni demandeurs, ni commanditaires ? Mystère.

Toujours est-il que ces agences sont devenues des véritables épouvantails pour les Etats.  En plein tourmente de la crise grecque, l’agence Standard&poor’s annonce -mercredi 28 avril 2010- qu’elle vient d’abaisser d'un cran, à AA, sa note attachée à la dette souveraine de l'Espagne, provoquant un retournement à la baisse de l'euro et un creusement des pertes des Bourses européennes. S&P justifie sa décision au «vu des perspectives de croissance plus mitigées que prévu pour l’Espagne ». Dans un communiqué repris par Reuters, S&P assène le coup de massue : « Nous prévoyons désormais pour l’Espagne une croissance réelle du PIB de 0,7% par an entre 2010 et 2016, contre une précédente estimation de 1% par an pour cette période ».

Mardi 27 avril, S&P avait dégradé la notation souveraine grecque passant de " BBB+" à "BB+", soit 3 crans de moins. « Les risques de financement de moyen terme liés à la lourde charge d'endettement du pays s'accroissent, malgré le programme déjà conséquent d'austérité fiscale du gouvernement », a expliqué Standard & Poor's à l'appui de sa dégradation. Comme déjà indiqué, ceci a eu comme principale conséquence le désengagement des investisseurs traditionnels et la Grèce a d’énormes difficultés de vendre ses obligations.

C’est toujours S&P qui a annoncé la dégradation de la note du Portugal de «AA-» à «A+», pays également confronté à des déficits publics colossaux et considéré par les marchés comme le prochain pays risquant une crise de confiance, à l’instar de la Grèce.

Fitch a aussi dégradée  les trois pays (Grèce, Espagne et Portugal). Pour le Portugal l’agence a abaissé sa note d’un cran de  «AA» à «AA-» et l’a placé sous perspective négative. «Un important choc fiscal additionné à des faiblesses macroéconomique et structurelles a réduit la solvabilité du Portugal», a justifié Douglas Renwick, directeur associé chez Fitch. De plus, «les perspectives de reprise économique sont plus faibles que pour ses pairs de la zone euro, ce qui place ses finances publiques sous pression à moyen terme».

L’agence Fitch avait initialement tablé sur un déficit  public de 6,5% du PIB pour 2009. Il s’est élevé finalement à 9,3%. Cet écart «complique significativement le défi consistant à redresser les finances publiques et réduire la dette à moyen terme», selon Fitch. «Le PIB par habitant portugais et les perspectives de croissance sont bien en dessous de la moyenne des pays notés «AA».

Les analyses et recommandations des agences de notation sont mises en cause. Le Senat américain accuse Moody’s et S&P de négocier leurs notations. Le Sénat américain a choisie 10,000 produits CDO et RMBS que Moody’s et S&P avait gratifiée des notes généreuses pour t déterminer l’impact des notations de ces agences sur la crise financière et immobilière qu’avait secouée l’Amérique. L’enquête a dure quatre ans (2004-2008). Les conclusions du rapport du Senat sont accablantes et édifiantes.

Carl Levin, sénateur à la tête de la sous-commission qui remettait le rapport, a estimé que la responsabilité des agences de notation dans la crise du système financier était grave. «Les agences ont laissé des banques vendre des titres à haut risque dans des bouteilles étiquetées ‘risque faible’ (…). Elles partagent la responsabilité des dégâts économiques massifs qui ont suivi», a-t-il expliqué.

Plus grave, des employés des deux agences, auditionnés, ont révélé que des pressions existaient pour donner des bonnes notes aux produits émanant des «bons clients». Le rapport montre aussi l’incapacité de Moody’s et S&P à intégrer les risques liés aux fraudes sur les crédits hypothécaires, alors que les emails des salariés dévoilent qu’elles étaient au courant.

Pour le Sénat américain, c’est la cupidité des agences qui a atteint leur objectivité. La croissance des revenus tirés par Moody’s et S&P de la notation et de la surveillance des CDO et RMBS est exponentielle entre 2002 et 2007. Pour S&P, les revenus nets annuels sur les structurés ont représenté 1,16 milliard de dollars en 2007. Trois fois plus qu’en 2002, et surtout, la moitié de ses revenus totaux l’année où la crise a éclaté. De même pour Moody’s: les revenus sur les services pour les CDO et RMBS est passé de 61 millions de dollars en 2002 à 208 en 2006. Leurs dirigeants en ont bien sûr profité.

L’Europe s’organise aussi pour contrer l’influence grandissante des agences de notation. La chancelière Angela Merkel s’est prononcée pour la création d’une agence européenne de notation. Une agence européenne pourrait apporter "une compréhension de base" des mécanismes économiques différente de celle des agences existantes, plus orientée vers "la pérennité" de l'économie et moins vers le court terme, a-t-elle dit. "Plus de concurrence dans ce domaine ne peut pas nuire", avait-elle martelé.  

4. LA GRECE ET LE PLAN D’AUSTERITE

L’union européenne et le FMI apporteront a la Grèce 45 milliards d’euros cette année 2010 (30 sous forme de prêts bilatéraux des pays de la zone euro, 15 de la part du FMI). En contre partie, la Grèce est tenue d’appliquer un plan d’austérité qui passe par l’assainissement de ses finances publiques. Objectif principal : réduire le déficit public dans deux ans (2010-2011). Le déficit qui actuellement de 14% du PIB doit entre réduit à 4%, soit une baisse de 10 points. Ceci permettra à la Grèce des économies de l’ordre de 25 milliards d’euros pendant les deux ans. La dette grecque, qui dépassera 140 % du PIB en 2013, doit baisser à partir de 2014, et permettre à la Grèce de "revenir le plus vite possible sur les marchés".

Pour atteindre les deux objectifs, la Grèce doit recourir à la consolidation budgétaire qui consiste à  drastiquement compresser la dépense globale. Coté, recettes des taxes seront augmentées et le mécanisme de collecte des impôts sera amélioré. Toutefois, le plan d’austérité ne sortira pas la Grèce de la récession. Selon les prévisions officielles qui ont servi de base de discussion entre le gouvernement grec et ses deux partenaires de développement (UE et FMI), le taux de croissance économique cette année chutera de 4% contrairement au -2% initialement prévu. La récession se poursuivra en 2011 avec une contraction de l’activité de 2,6%. Une modeste reprise économique est attendue pour 2012 avec un taux de croissance de 1.1%.

Le journal quotidien le Monde du 02 mai 2010 a fait un résumé du plan de rigueur que la Grèce doit mettre en exécution pour bénéficier de l’appui de l’UE et FMI.

Retraites. L'âge minimum de départ à la retraite fixé à 60 ans, les départs anticipés seront réduits. L'âge légal, actuellement de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes, va être lié à l'espérance de vie moyenne. La durée du travail pour avoir droit à une retraite pleine sera progressivement portée de 37 ans à 40 ans en 2015. La base de calcul prendra en compte le salaire moyen de la totalité des années travaillées, et non plus le dernier salaire.

Secteur public. Le gel des salaires actuellement en cours est étendu jusqu'en 2014. Suppression des 13e et 14e mois de salaire dans la fonction publique pour les fonctionnaires gagnant plus de 3 000 euros par mois. Ces primes sont plafonnées à 1 000 euros pour ceux qui gagnent moins. Suppression des 13e et 14e mois de pension pour les retraités, compensés par des primes pour les plus bas revenus. L'ensemble de ces primes avaient déjà été réduites de 30 % dans le cadre des précédentes mesures d'austérité. Les diverses indemnités touchées par les fonctionnaires, et qui représentent une partie importante de leur revenu, seront à nouveau réduites, de 8 %. Elles avaient déjà été diminuées de 12 %.

Fiscalité. La TVA augmentera de deux points, de 21 % à 23 %, après une hausse de deux points en mars. Les taxes sur les carburants, l'alcool et le tabac sont augmentées de 10 % supplémentaires. Pour augmenter ses recettes, le gouvernement prévoit également de créer un nouvel impôt exceptionnel sur les sociétés les plus rentables, ainsi que par une augmentation de la fiscalité immobilière.

Investissements publics. Le gouvernement grec prévoit de réduire l'ensemble des investissements publics, ainsi qu'une libéralisation des marchés des transports, de l'énergie et "l'ouverture" des professions fermées.

Secteur privé. Un nouveau salaire minimum va être mis en place pour les jeunes et les chômeurs de longue durée. Le gouvernement va revoir la législation qui interdit aux sociétés de licencier plus de 2 % de leurs effectifs totaux par mois. D'autres modifications sont prévues dans le domaine des indemnités de départ.

Au départ, Le premier ministre socialiste Georges Papandréou et son gouvernement était perplexe et réticent pour accepter le plan de rigueur concocté par l’UE et le FMI. Il a remporté les élections et est au pouvoir que depuis seulement octobre 2009. Il a hérité d’un bilan désastreux et calamiteux de son prédécesseur Kostas Karamanlis. Comme souvent, quand il n’était pas aux affaires, il avait une vision approximative du bilan de gouvernement de droite. Quand il est élu et prend ses fonctions, il procède à un état de lieu. Il découvre l’étendue des dégâts. C’est lui le premier –prenant le peuple à témoin- qui  annonce la taille du déficit et de la dette publique qui était largement au dessus de statistiques officiels.

Quand il apparait à la télévision, il est amer et résigner. Il confie : "Avec nos décisions d'aujourd'hui, les citoyens doivent subir de grands sacrifices. (...) Ce n'est pas une décision agréable", c’est une "grande épreuve" qui attend le pays. "Ce sont des sacrifices durs mais nécessaires (...) sans lesquels la Grèce ferait faillite", or "éviter la faillite est la ligne rouge nationale".

Les syndicats décident d’organiser une manifestation le 5et 6 mai. Ce mercredi 5 mai 2010, l’affluence et au zenith. Des hordes humaines se dirigent vers le parlement, lieu de convergence. Objectif : faire pression sur les députés pour qu’ils n’avalisent pas le plan de rigueur. Tout se passe bien. Soudain, la manifestation tourne  à l’émeute. Quelques protestataires lancent des bouteilles et des pierres contre les policiers. La police riposte et charge avec des grenades lacrymogènes. Des sueurs, des bosses, du sang et malheureusement des morts. Trois personnes innocentes meurent calcinées et consumées par le feu à l’intérieur d’une banque. Des manifestants incontrôlés avaient pris la banque comme cible et larguer des cocktails Molotov. La Grèce venait d’avoir ses martyrs –malgré elle.  

Les partis de droite –revanchards- surfent sur le mécontentement populaire et avec des discours populistes poussent la population à la révolte. Ils oublient qu’ils sont responsables de l’état ou se trouve la Grèce aujourd’hui. Ce jeudi 6 mai, leurs députés votent contre le plan d’austérité. Une femme député de droite fait défection et vote pour le plan de rigueur.  Elle est tout de suite considérée comme une transfuge et taupe. La sentence tombe immédiatement: elle est radiée du parti.

Le gouvernement socialiste qui rêvait d’une union sacrée pour sauver le pays doit se rendre à l’évidence. La droite ne lui fera pas des cadeaux –quitte à couler la Grèce. Pathétique.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article